Le contrat de mandat (Loi Sapin)
Pendant longtemps, les agences ont été rémunérées par des commissions sur l’achat d’espace, qui leur étaient versées sous forme de ristournes par les supports (presse, télévision, affichage, etc.). Le taux normal de ces commissions était de 15% sur le montant de l’achat d’espace. En pratique, il était souvent supérieur, les supports offrant aux agences des « surcommissions » qui pourraient être élevées. Ce système de rémunération était contestable, d’une part en raison de son caractère occulte (l’annonceur ne connaissait pas la rémunération exacte de son agence), mais aussi parce qu’il consistait à rémunérer la fonction conseil et créations ur les marges prises sur l’achat d’espace.
Ces pratiques ont été remises en cause par la loi Sapin de 1993 qui a bouleversé l’achat d’espace. Les agences ne peuvent plus être des revendeurs d’espaces. Elles agissent comme mandataire de l’annonceur, c’est-à-dire pour son compte. Les tarifs sont transparents, avec des barèmes publiés par les supports. Les factures d’achat sont remises aux annonceurs. Désormais, l’annonceur arrête après négociation des honoraires pour rémunérer l’agence. Ces horaires sont globaux ou plus souvent, pour des budgets importants, ventilés selon les tâches confiées à l‘agence : conseil, études, création, frais techniques, etc.
Dans certains cas (mais qui restent rares en France) la rémunération de l’agence est liée aux résultats des campagnes.
LE 29 JANVIER 1993, LE PARLEMENT VOTAIT LA LOI « RELATIVE À LA PRÉVENTION DE LA CORRUPTION ET À LA TRANSPARENCE DE LA VIE ÉCONOMIQUE »
La loi Sapin a mis de l’ordre dans le monde de la publicité. Ce texte explosif est aujourd’hui passé dans les mœurs, non sans douleur. Un véritable séisme pour les uns, un coup de balai salutaire pour les autres. L’émoi provoqué par le vote de la loi Sapin, le 29 janvier 1993 – plusieurs mois de débats homériques avant son adoption au Parlement et son entrée en vigueur, le 31 mars de la même année- paraît de l’histoire ancienne.
Un flou relevant du pénal
Tout a commencé par un beau mois d’août… Alors que la plupart des publicitaires sont au bord de leur piscine, un dossier explosif atterrit sur le bureau du ministre de l’Économie et des Finances, Michel Sapin. En cet été 1992, il met la dernière main à son projet de loi « relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ». Le document en question, réalisé par le Conseil de la concurrence, porte sur les pratiques commerciales du marché publicitaire. Le résultat de l’enquête est accablant. Le Conseil fait état d’agences liées à des régies, de groupes de communication ayant des intérêts dans des médias, de modes de rémunération pour le moins troubles et de pratiques franchement délictueuses comme la mise à jour d’un système officieux et institutionnalisé de surcommissions versées par les supports aux agences. Cela jette un froid. Comment le monde de la publicité s’est-il retrouvé embarqué dans un texte de loi visant à lutter contre la corruption ? Serait-ce le lobby des médias excédés d’être ponctionnés ? Ou l’image de publicitaires m’as-tu-vu, victimes des « années fric » ? Ou encore les conséquences de campagnes électorales ayant révélé aux hommes politiques les arcanes de pratiques publicitaires pas toujours très nettes ? Quoi qu’il en soit, en septembre 1992, la machine est en marche et la réaction des patrons d’agence n’y changera pas grand-chose.
Ce qui a changé
Une fois l’application de la loi Sapin effective, la majorité des acteurs du marché lui ont finalement reconnu quelques vertus, à commencer par l’instauration de relations plus transparentes entre annonceurs, agences et médias. Sans surprise les plus satisfaits furent les annonceurs à travers L’UDA (union des annonceurs) qui avait soutenu le texte de loi. A l’époque, cette clarification des flux financiers nous était enviée par certains pays. Cet assainissement a également satisfait les médias. Libérés du poids des surcommissions et bénéficiant d’une relation directe avec l’annonceur, ils ont pu proposer, du moins dans les premiers temps, des tarifs plus intéressants aux annonceurs tout en augmentant leurs marges.
Qu’en est-il aujourd’hui de la loi Sapin et Internet ?
Comme le stipule la Loi Sapin, tout organisme gérant des espaces publicitaires se doit d’être transparent vis à vis de l’annonceur en matière de tarifs et honoraires. Une Agence Adwords ne peut vous facturer une somme sans vous dire à quoi celle-ci correspond. Vous devez connaître le montant alloué en espace publicitaire ainsi que celui pour la gestion de votre compte. Tout d’abord parce qu’il s’agit de votre budget et parce qu’il est bon de le comparer aux résultats pour le comprendre. De plus, celui ci peut être ajuster en fonction de vos attentes et de la saisonnalité. Une Agence qui « s’occupe de tout », mais qui ne vous communique pas le budget dépensé sur votre campagne Google AdWords ne respecte pas la loi Sapin.
Le gouvernement n’aura peut-être pas à légiférer pour adapter au numérique la loi Sapin de 1993 sur l’achat d’espaces publicitaires. Aujourd’hui, c’est à nouveau un souci de transparence qui est à l’origine de la polémique. La loi Sapin ayant été conçue à une époque où Internet était encore confidentiel, de multiples entrants se sont faufilés dans les failles du dispositif. A commencer par les « trading desks ». Des plates-formes d’un genre nouveau se connectant aux « ad exchanges », les places de marchés en ligne. Là, s’achètent et se vendent de manière simultanée, aux enchères, de façon automatisée et en temps réel (RTB ou « real time bidding » en anglais), des espaces publicitaires via Internet. Violant parfois l’esprit de la loi Sapin .
Cette loi « a mis en place les conditions d’une transparence absolue des relations économiques entre les médias, les agences et les annonceurs. Il est indispensable que ses principes continuent de s’appliquer sur le marché de la publicité digitale, afin d’éviter que certaines dérives ne se reproduisent comme au début des années 1990 », selon Loïc Armand, président de l’UDA et président de l’Oréal France.
Fin février 2014, la Fédération mondiale des annonceurs (WFA) a présenté une étude portant sur 20 pays dans le monde, où elle pointe des pratiques opaques assez largement répandues lors d’achats d’espaces publicitaires. Même si elle présente la France comme le pays « où le marché média est le plus transparent, grâce à la loi Sapin qui empêche les agences de toucher des rabais de la part des médias-vendeurs », la fédération souligne cependant que « des préoccupations existent concernant la capacité de cette loi à couvrir les activités digitales émergentes ».
La nécessité de clarifier les nouvelles pratiques sur le digital.
L’encadrement des conditions d’achat/revente d’espaces par la loi Sapin implique que les nouveaux intermédiaires, en particulier les « trading desk », ne peuvent représenter à la fois les intérêts de l’annonceur et du vendeur d’espaces.
Une clarification du statut de ces nouveaux acteurs, intervenant sur l’ensemble de la chaine de valeur, et des obligations auxquelles ils sont soumis en application de la loi Sapin, nous semble par conséquent nécessaire, afin de sauvegarder la confiance dans les relations entre supports, régies, annonceurs et intermédiaires. Cette clarification devra prendre en considération les contraintes techniques et économiques propres aux services nouvellement proposés. Une précision de la notion de régie, telle qu’assimilée au vendeur d’espaces par la loi Sapin, est également indispensable.
Décryptage :
Popularisé outre-Atlantique, le real-time-bidding – c’est-à-dire les enchères en temps réel – a favorisé l’émergence de nombreux acronymes et anglicismes parfois obscurs.
Les enchères en temps réel ou real-time bidding (RTB) ont pris une part croissante dans les achats médias digitaux des annonceurs ces dernières années, d’abord aux États-Unis et au Royaume-Uni, avant de s’étendre au reste de l’Europe. En facilitant l’accès à un inventaire toujours plus important et fragmenté et en réduisant la complexité de l’achat et de la mise en œuvre des campagnes, cette technologie fait aujourd’hui figure de levier de croissance dans l’industrie du digital. En France, pays qui figure parmi les trois principaux marchés européens avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, 8% des ventes de publicité en ligne proviennent des enchères en temps réel en 2012 selon le cabinet IDC, soit une croissance de 120% par rapport aux 23,1 millions d’euros dépensés en 2011.
Trading desk
Le trading desk est l’agence qui va prendre en charge l’achat d’impressions en temps réel pour le compte d’un annonceur sur les ad-exchanges. Pilotant sa stratégie d’achat grâce à un DSP, le trading-desk cible et achète l’audience que son client désire adresser et optimise sa campagne en fonction des performances obtenues sur les différents sites supports. Un trading desk peut être indépendant ou faire partie d’une agence média classique.
Ad-exchange
Un ad-exchange est une plateforme automatisée permettant d’optimiser l’achat et la vente d’impressions publicitaires en temps réel. A l’instar d’un marché financier, chaque impression mise à disposition est ainsi mise aux enchères par le vendeur (site, réseau d’éditeurs ou régie) et attribuée à l’émetteur de l’offre la plus élévée (annonceur, trading desk, agence média ou retargeter). L’arrivée de ce type de commercialisation d’espace favorise deux choses : la transparence (l’enchérisseur sait combien et pour quoi il paye) et le gain de temps, avec l’automatisation des phases de négociation et d’implémentation des campagnes.
Sources : journaldunet, lesechos, cbnews, strategie, clikoo